Un risque croissant mais souvent invisible
L’intelligence artificielle (IA) s’est installée très rapidement dans les entreprises.
Mais cette adoption rapide cache un danger : l’IA est aujourd’hui l’un des principaux moyens par lesquels des données sensibles peuvent être volées, surpassant largement les méthodes traditionnelles de cyberattaque.
Ce phénomène, appelé « Shadow AI » ou « IA fantôme », désigne l’usage non autorisé d’outils d’IA par les employés, en dehors des systèmes de sécurité de l’entreprise. Le risque est réel : environ 20 % des violations de données dans le monde impliquent aujourd’hui ces systèmes de Shadow AI.
Le but n’est pas d’interdire l’IA, mais d’apprendre à l’utiliser correctement pour protéger l’entreprise, ses employés et ses données.
Les menaces principales : comprendre les risques réels
Le copier-coller : nouvelle porte d’entrée des données
Le danger le plus caché n’est pas celui que surveillent habituellement les équipes de sécurité.
Alors que les responsables informatiques se concentrent sur le téléchargement de fichiers, plus de la moitié des employés collent directement des données dans des outils d’IA, souvent depuis des comptes personnels non surveillés.
Quand un collaborateur utilise ChatGPT, Copilot ou Gemini, il peut être tenté de copier :
- des contrats,
- des données clients,
- des documents internes,
- du code source,
- des informations RH ou stratégiques.
Et c’est précisément cette habitude, devenue banale et rapide, qui ouvre la porte à des fuites de données silencieuses mais potentiellement désastreuses.
L’utilisation non autorisée des données pour entraîner l’IA
Les données saisies dans des outils publics d’IA peuvent être utilisées pour entraîner les modèles de ces fournisseurs, souvent à l’insu de l’entreprise. Cela signifie que des secrets commerciaux, des données clients et des informations confidentielles peuvent être intégrés dans des modèles accessibles publiquement.
Les conséquences légales et commerciales sont importantes. Selon le RGPD, utiliser des données personnelles pour entraîner une IA constitue un « traitement » soumis à des règles strictes : finalité légitime, base légale, minimisation des données et obligation d’informer les personnes concernées.
Au-delà du risque juridique, l’entreprise perd aussi le contrôle sur la circulation de ses informations, qui peuvent alors se retrouver diffusées, réutilisées ou inférées sans qu’elle ne puisse jamais revenir en arrière.
Risques de conformité et sanctions financières
Un manque de gouvernance autour de l’IA peut exposer l’entreprise à des violations du RGPD, du règlement sur l’IA (AI Act) ou d’autres normes sectorielles.
Et plus l’IA est intégrée dans les opérations, moins il y a de règles pour l’encadrer.
Les employés peuvent saisir des données sensibles dans des prompts, utiliser des comptes personnels et des identités non gérées, tout cela hors surveillance. En cas de contrôle, l’entreprise pourrait ne pas pouvoir prouver que le traitement des données est légal, ce qui peut entraîner des sanctions financières importantes.
Exposition à des juridictions étrangères
Lorsque les données sont envoyées vers des serveurs hors de l’Union européenne, elles sont soumises aux lois locales. Par exemple, le Cloud Act américain permet au gouvernement des États-Unis d’accéder à des données sans informer l’entreprise concernée, ce qui peut entrer en conflit avec le RGPD.
Autre point important : si des employés utilisent des IA hébergées dans des pays sans décision d’adéquation, les données personnelles sont traitées dans un cadre légal différent, parfois moins protecteur. Sans contrats solides ou garanties équivalentes, l’entreprise s’expose à des violations du RGPD et à des sanctions.
Une fois que ces données franchissent les frontières européennes, l’entreprise perd en pratique toute capacité réelle de contrôle ou de recours, ce qui rend la maîtrise du risque presque impossible en cas d’accès non autorisé ou de demande gouvernementale étrangère.
Opacité des modèles : on ne sait pas toujours ce que fait l’IA
Même avec des outils réputés, il est difficile de savoir :
- si les données sont réutilisées pour entraîner le modèle,
- si elles sont stockées et combien de temps,
- avec quels partenaires elles sont partagées.
Cette absence de visibilité empêche les entreprises de vérifier le respect des principes fondamentaux du RGPD comme la minimisation, la limitation de la finalité ou la sécurité et rend l’évaluation du risque pratiquement impossible.
Risques de biais, d’erreurs et de décisions automatisées
L’IA peut produire :
- des informations erronées ou peu fiables,
- des décisions biaisées affectant clients ou employés,
- des analyses discriminatoires, avec des conséquences pour la stratégie de l’entreprise.
Ces dérives ne se limitent pas à des erreurs ponctuelles : elles peuvent fausser des choix commerciaux, influencer des recrutements, orienter des décisions stratégiques et engager la responsabilité de l’entreprise sans qu’elle s’en rende compte.
Impact financier et réputationnel
Les risques du Shadow AI vont bien au-delà des amendes. La fuite de données sensibles peut ralentir ou paralyser l’activité, entraîner des pertes financières, nuire à l’image de l’entreprise, diminuer la confiance des clients et partenaires, et provoquer des litiges juridiques.
Et surtout, ces dommages s’inscrivent souvent dans la durée : une fois la confiance entamée ou une information stratégique divulguée, il est très difficile voire impossible de revenir en arrière, ce qui peut fragiliser l’entreprise pendant des années.
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Les bonnes pratiques pour protéger ses données
Mettre en place une gouvernance claire de l’IA
L’entreprise doit définir une politique simple et claire pour l’usage de l’IA :
- Quels outils sont autorisés ou interdits ?
- Quelles données peuvent être partagées ?
- Former régulièrement les employés aux risques.
- Établir un plan d’action en cas de fuite de données.
- Clarifier les responsabilités de chacun.
Cette gouvernance doit évoluer avec la technologie et la réglementation.
Choisir des fournisseurs d’IA de confiance
Il est crucial de travailler avec des fournisseurs fiables qui garantissent la sécurité et la confidentialité :
- Les données restent la propriété de l’entreprise.
- Interdiction de réutiliser les données pour entraîner l’IA.
- Serveurs situés idéalement dans l’UE.
- Sécurité renforcée (chiffrement, authentification).
- Engagements de conformité au RGPD et à l’AI Act.
Préférer les alternatives européennes conformes au RGPD
- Mistral AI (Le Chat) : Startup française, serveurs en Suède, RGPD respecté.
- GreenPT : Hébergement en France, 100 % énergie renouvelable, données traitées dans l’UE, modèle auto-hébergé.
Minimiser la saisie de données sensibles
- Anonymiser ou pseudonymiser les données,
- Utiliser des données fictives pour tester,
- Éviter données personnelles, secrets commerciaux et informations stratégiques,
- Former les employés à ne jamais copier-coller des informations sensibles,
- Rédiger des prompts génériques.
Assurer la souveraineté et la localisation des données
Pour les entreprises françaises et européennes, il est recommandé de stocker les données en France ou en Europe :
- Conformité au RGPD,
- Contrôle total sur les informations sensibles,
- Protection contre les lois étrangères,
- Réduction des risques de fuite de données hors périmètre autorisé.
Mettre en place une sécurité en couches
Une sécurité efficace combine mesures techniques et administratives :
Techniques :
- Chiffrement des données,
- Authentification multi-facteurs,
- Gestion sécurisée des accès,
- Détection des intrusions,
Administratives :
- Analyse d’impact sur la protection des données (AIPD),
- Registre des traitements,
- Délégué à la protection des données (DPO),
- Audits réguliers.
Contrôler l’accès aux plateformes non autorisées
Plutôt que de bloquer complètement :
- Utiliser des navigateurs sécurisés qui détectent et bloquent les données sensibles,
- Autoriser uniquement des IA approuvées,
- Surveiller les comptes non professionnels.
Former et sensibiliser les employés
Former régulièrement sur :
- L’usage éthique de l’IA,
- Les risques de fuite de données,
- L’identification des données sensibles,
- Les procédures en cas de fuite,
- La protection des informations numériques.
Vérifier la conformité des outils avant usage
Avant d’adopter un outil d’IA :
- Vérifier la localisation des serveurs,
- S’assurer de la protection des données (RGPD),
- Contrôler la réutilisation des données,
- Définir clairement les responsabilités en cas de violation,
- Prévoir le droit à l’effacement.
Comment empêcher l’IA d’utiliser vos données
La plupart des IA utilisent par défaut les données saisies pour s’améliorer. Cela peut exposer :
1. Des informations confidentielles,
2. Des données personnelles sans consentement, ce qui viole le RGPD.
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Désactiver l’utilisation des données chez les fournisseurs principaux
ChatGPT
Pour empêcher OpenAI d’utiliser vos données, procédez comme suit :
- Connectez-vous à votre compte ChatGPT
- Cliquez sur votre icône utilisateur en haut à droite
- Allez dans Paramètres
- Sélectionnez Gestion des données
- Dans la section intitulée « Améliorer le modèle pour tous », désactivez l’option
Une fois cette case décochée, vos conversations ne seront plus utilisées pour entraîner ChatGPT, quel que soit le plan que vous utilisez.
Microsoft Copilot
Copilot propose deux paramètres distincts : l’entraînement sur le texte (activé par défaut) et l’entraînement sur la voix (désactivé par défaut).
Pour refuser tous entraînement :
- Cliquez sur votre icône de profil
- Cliquez sur votre nom
- Choisissez Confidentialité
- Désactivez « Apprentissage du modèle sur du texte »
Meta AI
Meta utilise les publications publiques d’Instagram, Facebook et Messenger pour entraîner ses modèles d’IA, y compris Meta AI. Les commentaires, légendes et posts « visibles par tous » sont concernés, mais pas les messages privés ni les données des mineurs.
Pour empêcher Meta d’utiliser vos contenus :
- Ouvrez les Paramètres d’Instagram ou Facebook
- Allez au Centre de confidentialité
- Cliquez sur le lien « opposer »
- Remplissez le formulaire avec votre adresse email
- Validez votre opposition
Une fois le formulaire envoyé, Meta n’utilisera plus vos contenus publics pour entraîner ses modèles.
Important : les contenus déjà utilisés avant votre opposition peuvent avoir déjà été intégrés au modèle.
Conclusion : vigilance constante
Protéger ses données à l’ère de l’IA demande une approche globale : gouvernance, choix des fournisseurs, localisation des données, formation des employés et vigilance permanente.
Plus l’IA devient indispensable, plus les entreprises doivent structurer leurs gouvernances pour éviter les fuites de données invisibles. La souveraineté des données est aujourd’hui une nécessité stratégique pour les entreprises françaises et européennes.
Pour éviter que vos données servent à entraîner des IA : désactivez les paramètres d’utilisation par défaut, opposez-vous aux plateformes, privilégiez des solutions européennes et signez des contrats clairs.
La protection des données est un effort continu, mais indispensable pour préserver confiance, compétitivité et conformité.


